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Valentine Gauthier, tête pensante de la mode

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Valentine Gauthier

Elle étire ses phrases, cherche les mots justes et jette son regard dans le vague quand elle réfléchit. Valentine Gauthier fait partie de ces personnes pour qui la parole vaut de l’or. Âme sensible et réfléchie, la créatrice imagine depuis dix ans un vestiaire inclassable, qui mixe joyeusement allure de garçonne, touches ethniques et streetwear. C’est au 88 Beaumarchais – un espace hybride ouvert à Paris – qu’elle prend le temps de dérouler une pensée critique quant à l’évolution de la mode et présente les engagements qui sous-tendent sa griffe. Respect de l’environnement, défense de l’artisanat et communication honnête sur la marque. Cette ancienne petite main chez Martin Margiela semble avoir retenu les leçons principales du maître : liberté créative et intégrité.

Texte: Inès Matsika

Photos: Noé LefebvreSilhouettes: DR

Vous avez lancé votre marque il y a plus de dix ans. Le marché a beaucoup évolué depuis. Que trouvez-vous obsolète dans la mode aujourd’hui ?

La saisonnalité est devenue une vraie question pour tous les créateurs. Le temps des multiples collections est révolu ! Nous avons besoin de les réduire et d’être plus efficace dans le sourcing des matières utilisées. Produire moins, en utilisant davantage de matériaux raisonnables pour la planète, devrait être notre objectif à tous.

L’urgence écologique commence à faire bouger les lignes de la 2ème industrie la plus polluante au monde. Pouvez-vous expliquer l’engagement de la marque sur ce point ?

J’ai intégré cette question à l’ensemble du fonctionnement de la marque et je l’ai couplée à l’angle éthique qui me tient également à coeur. Je fais attention à la manière dont je travaille avec mon équipe, afin que tout le monde se sente bien et en famille. J’ai une approche identique avec mes fournisseurs. Je travaille au long cours avec des prestataires qui ont en général une histoire ancienne et authentique à l’origine de leur société. À l’image de l’entreprise familiale de mon compagnon qui crée toutes les chaussures de mes collections. Un sacrée exercice car normalement, ils ne font que des lignes masculines ! Ils sont artisans bottiers depuis quatre générations et ils travaillent un cuir vertueux obtenu grâce à du tannage végétal. Nous faisons également attention aux chutes de tissus et à la manière dont on peut les transformer afin d’éviter les déchets. Côté architecture, nos bureaux ont été éco-conçus. Ce fut une lutte pour trouver des artisans capables de travailler dans ce sens-là, mais nous avons tenu bon ! Nous ne sommes pas parfaits, mais nous faisons de notre mieux, et nous tendons à nous améliorer.

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Votre démarche environnementale se trouve au cœur d’une collaboration avec Victoria…

En effet, cette marque espagnole se préoccupe de l’environnement depuis des décennies. Elle a mis au point une technique permettant d’avoir des semelles contenant de l’huile végétale à la place du pétrole. C’est aussi une très ancienne maison, dont l’histoire est méconnue. J’ai eu envie de la mettre à l’honneur à travers une capsule où l’on a poussé le curseur au niveau du design des modèles.

 On vit un moment particulier. Les stéréotypes féminins commencent à tomber. Le modèle unique de la femme est contesté. Est-ce une satisfaction pour vous qui réalisez un vestiaire éclectique depuis vos débuts ?

C’est satisfaisant parce qu’on était à la traîne par rapport à d’autres pays ! On a eu besoin de mûrir un peu plus notre réflexion mais c’est enfin en train de bouger. Depuis que je crée, je n’ai jamais pensé à une femme en particulier. Je l’ai toujours imaginée plurielle, que ce soit en terme de physique, d’ethnie ou de corpulence. La complexité du prêt-à-porter est de créer des vêtements qui aillent à tout le monde alors que nous sommes tous différents. Mon parti pris est de tailler volontairement plus grand car je trouve l’oversize joli.

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La journaliste Alice Pfeiffer va sortir le livre  Je ne suis pas Parisienne  (éditions Stock). Elle y dénonce un mythe qui exclurait les autres femmes françaises. Selon vous, doit-on parler de la Parisienne ou des Parisiennes ?

Ah il faut parler des Parisiennes ! Il n’y en a pas qu’une. On est ultra-multiple. Pour moi, ce concept est un fantasme imaginé pour les touristes (rires). Il est évident que notre style peut être impacté par l’endroit où l’on vit. Concernant Paris, il faudrait plutôt réfléchir par quartier. J’ai toujours développé ma marque depuis le Marais et c’est vrai que j’y observe des silhouettes que l’on ne retrouve pas ailleurs.

Vos points de vue mode ont-ils évolué depuis le lancement de la marque ?

Les silhouettes restent les mêmes : affirmées avec des touches masculines. Je trouve important de ne pas s’enfermer dans une féminité évidente ou outrancière. Je préfère au contraire qu’elle reflète différents codes : streetwear, ethnique, boyish… C’est ce savant mélange que j’ai imaginé pour mes collections, afin que les femmes s’affirment avec davantage de force, voir même qu’elles surmontent leurs peurs. En tout cas ce vestiaire me le permet ! (rires)

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La richesse des modèles tient beaucoup aux imprimés que vous dessinez et réalisez…Y-a-t-il des motifs signature que vous revisitez au fil des collections ?

Il y a toujours des inspirations ethniques. Ça vient de mes études universitaires en géo-ethnologie. Je me documente beaucoup avant chaque collection. Je puise dans des sources assez anciennes. Les vieilles tribus me fascinent. Je trouve que l’ethnique se mélange très bien avec le tailoring anglais et le style urbain.

J’essaie de ne pas trop inscrire l’imprimé qui en découle dans un lieu géographique, mais de la rattacher à un patrimoine mondial.

Il y a un an vous avez ouvert un flagship comprenant une boutique, l’espace Holisme dédié aux projets lifestyle de la marque et un atelier show-room. Qu’est ce qui vous a motivé à déployer l’univers de Valentine Gauthier ?

J’aime la mode mais je suis aussi intéressée par d’autres sujets. J’avais envie de mettre en lumière le travail d’artisans qui produisent des éditions limitées pour notre espace ou dont nous sélectionnons certaines pièces. Je trouve que cela s’est un peu perdu à Paris. Hormis dans les galeries d’art, il est difficile de trouver des pièces exclusives à des prix qui restent raisonnables.

Comment se répondent la mode et la décoration à travers vos lignes?

Le point commun est le côté brut des pièces, qu’il s’agisse de l’artisanat ou des vêtements. Pour mes collections, j’essaie de mélanger le raffinement de mes imprimés et le côté rustique de la matière.

 

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Avec la liquidation judiciaire de Sonia Rykiel, la France perd une maison emblématique qui faisait partie de son patrimoine. Qu’est ce que cela vous évoque ?

C’est très triste. Le monde de la mode est dur. C’est le business qui y règne désormais. On est mené par le capitalisme, le profit à tout prix ! Ce n’est pas comme cela que j’ai construit ma marque et je n’en ai toujours pas l’intention. Je souhaite continuer à faire ce que j’aime, entourée d’une équipe qui a envie de me suivre dans cette aventure, sans forcément générer des revenus à outrance. L’important est d’être à l’équilibre et de se développer raisonnablement. 

Vous employez souvent le mot « juste ». Qu’est ce qui l’est fondamentalement à vos yeux ?

Ce mot fait allusion à ma façon de travailler. J’essaie d’être juste avec les personnes avec les lesquelles je travaille, avec mes fournisseurs et ma clientèle – à travers les prix.

J’essaie aussi de ne pas céder aux sirènes du marketing qui est devenu le mot principal de la langue française ! On raconte des bêtises à tout le monde pour générer toujours plus de ventes. Cela me pose un terrible problème. J’essaie de ne pas le faire et de ne pas consommer de cette manière. D’où l’incursion dans le lifestyle. Ce n’est pas un egotrip, mais un moyen ludique de faire découvrir d’autres talents. Des personnes qui se donnent du mal pour aboutir à des objets sensibles et innovants.

Maison Valentine Gauthier, 88 boulevard Beaumarchais, 75011 Paris. www.valentinegauthier.com

À écouter : Valentine Gauthier se raconte dans un podcast

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