Daja Do Rosario est le double créatif d’Isabelle Legares, artiste pluridisciplinaire qui explore une dualité identitaire à travers une photographie théâtrale et la fabrication d’objets émotionnels. Porteuse d’inspirations multiples, Daja Do Rosario jongle entre ses racines cap-verdiennes, la mode solaire de Jacquemus et l’art de rue pour nouer un pont sensible entre l’Afrique de ses origines et l’Europe, son territoire d’adoption.
Par Maÿlis Magon de la Villehuchet.
Grandir avec une double identité
« Mon enfance et mon adolescence ont été construites autour de ma double origine : la Martinique par mon père et le Cap Vert par ma mère. Avec mes frères et sœurs, nous avons été bercés par les chansons en créole portugais que notre mère adorait. Elle a aussi partagé avec nous son éducation matriarcale, une véritable histoire de femmes. Elle était toujours très élégante, mettant un point d’honneur à ce que ses enfants soient impeccablement habillés, manifestation de fierté et volonté d’intégration. J’ai donc naturellement développé un goût pour la mode, que je cultivais en dévorant la presse féminine et en customisant très jeune mes vêtements.
J’ai grandi et je vis toujours à Toulon, dans le sud de la France. On m’a fait ressentir ma différence et ma couleur de peau pendant toute mon enfance et mon adolescence. Ma pratique de la peinture et ma soif de connaissance ont constitué à la fois un refuge et une armure pendant cette période délicate. Plus tard, j’ai cultivé ce goût en allant régulièrement à Milan et à Paris pour écumer musées et librairies d’art. Aujourd’hui, je raconte mon identité à travers mes créations, et le mûrissement personnel qu’il a fallu construire, petite fille loin de ses racines familiales et du rayonnement d’une capitale.
Tout en pratiquant la peinture sur mon temps libre, j’ai travaillé longtemps dans le domaine de la santé, jusqu’à mon orientation récente en naturopathie. En parallèle, je manifestais ma soif de fantaisie dans mes tenues baroques et dans ma passion pour les chaussures. Le fait de revoir un ami d’enfance devenu coach de vie a constitué l’élément perturbateur. J’ai entamé un travail introspectif avec lui et tout s’est clarifié. Malgré la pression du jugement d’autrui, je me suis écoutée et j’ai commencé à creuser les nombreuses sources d’inspiration, jusque-là gardées pour moi. Le premier confinement passé dans mon jardin m’a permis de mûrir ma pratique paisiblement en recyclant les matériaux que j’avais sous la main. Depuis, je garde toujours cette volonté de renouveler l’existant avec mon art. »
L’éclosion de Daja Do Rosario
« Daja Do Rosario, c’est le nom de ma grand-mère maternelle. J’ai grandi sans la connaître, mais elle a vite pris la place d’une muse pour moi, sublimée par les photographies que je dévorais des yeux et les histoires que racontait ma mère. J’éprouve énormément d’admiration pour cette femme de condition modeste qui a élevé ses enfants toute seule tout en soignant une élégance remarquable.
Mon art se nourrit du désir d’affirmer mon identité de femme afropéenne en explorant la dualité de mes racines. Cela se traduit par l’élaboration d’auto-portraits que je qualifie d’afro-futuristes. L’idée est de rechercher un nouvel idéal à travers mon histoire personnelle et mon ADN en y apportant un œil coloré et optimiste. Je porte un héritage douloureux que je souhaite réinjecter dans ma pratique avec un regard d’espérance pour le futur. Ainsi, j’aspire à transformer ce poids en force et à changer de regard sur ma généalogie.
Aujourd’hui, je varie entre la photographie et la création de vêtements et d’objets, dont beaucoup de masques. J’aime travailler différents matériaux et me les approprier de manière instinctive, comme le raphia ou des gravats bétonnés, et créer à partir de là un support modifiable à l’infini. Pour ma première série de masques, j’ai réutillisé de vieux timbres africains de l’époque post-coloniale. Avec mon fils qui partageait mon émerveillement, nous avons tissé une narration émotionnelle avec ces sceaux racontant chacun une histoire liée à un pays d’Afrique francophone.
J’ai également réalisé une série de photographies à partir de sacs de gravats que j’ai édifiés comme des silhouettes. À la fin, je me suis aperçue que je m’étais inspirée inconsciemment d’une robe bahianaise de ma mère, qu’elle portait pour aller en soirée costumée. Elle était passionnée de culture vaudou et de Salvador de Bahia, et ces statues ballonnées de débris représentaient parfaitement les coupes bouffantes des toilettes traditionnelles brésiliennes.
Mes inspirations sont souvent tirées de la mode et de l’art de rue. Je suis très intéressée par le travail de Simon Porte Jacquemus pour son attachement au sud, mais également par la mode coréenne et l’habit masculin. Je nourris aussi une admiration particulière pour Malick Sidibé et Samuel Fosso et cette génération de photographes africains dont les images ont récemment resurgi au sein du paysage médiatique. »
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