Louis-Gabriel Nouchi ne se laisse pas troubler par la période. Le créateur a ouvert l’automne dernier sa première boutique parisienne. Ce diplômé de La Cambre, qui a connu une rapide ascension, poursuit avec assurance sa trajectoire. Il confirme son statut d’étoile primée au Festival de Hyères en 2014 et lauréat d’OpenMyMed prize en 2018, en peaufinant un vestiaire androgyne conçu avec précision et exigence. De sa formation, il garde un goût du vêtement bien construit, dans l’art du tailoring, qu’il s’amuse à bousculer avec des détails radicaux. Louis-Gabriel Nouchi s’autorise à peu près tout : le temps (long) de la création, les innovations de matières et l’idée d’un vestiaire insaisissable entre masculin et féminin. Il en fait la démonstration à chaque présentation de la Paris Fashion Week Homme à laquelle il participe. Rencontre dans sa boutique avant l’événement du 20 janvier 2021, préparé avec frénésie par son équipe, pour évoquer tout ce qui fait sa mode.
Par Inès Matsika
Reportage photos : Dario Holtz

Louis-Gabriel Nouchi ©Dario Holtz

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Qu’est ce qui pousse un jeune Français amoureux de mode à faire ses études à La Cambre, en Belgique?
La première raison est financière. A l’époque, je ne pouvais pas payer d’études onéreuses. J’ai donc porté mon choix sur La Cambre, qui est une école publique. C’est important de le souligner car c’est à la fois un établissement prestigieux et accessible.
La deuxième raison est ma quête de l’excellence. La Cambre propose une des meilleures formations en design et en mode d’Europe. Enfin, je suis un inconditionnel de la Belgique depuis que je suis enfant. Ma mère, qui est architecte d’intérieur, m’y a souvent emmené dans le cadre de son travail. C’est un pays qui m’est familier.
Quand on évoque la Cambre, on parle souvent d’un apprentissage de la rigueur. Le confirmez-vous ?
Ah oui, je le confirme. En première année, nous étions 2O étudiants. La dernière, nous n’étions plus que trois ! C’est une formation très exigeante et il faut être motivé pour aller jusqu’au bout. Cette école nous apprend à devenir de bons techniciens. Quand j’ai passé le concours d’entrée, je ne savais pas coudre un bouton. J’y ai tout appris, du patronage à la conception d’un défilé de mode. On nous plonge dans la réalité d’un créateur, sans subir de contraintes commerciales évidemment, ce qui nous permet d’aller très loin créativement.
La Cambre fut pour moi une sorte de laboratoire. J’y ai testé beaucoup de choses, dont certaines fondent l’identité de la marque Louis-Gabriel Nouchi aujourd’hui. C’était libérateur d’être formé par des Belges. Ils savent manier perfectionnisme et second degré. Ce qui décomplexe beaucoup par la suite.
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©Dario Holtz

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Vous vous désignez comme un artisan plus que comme un créateur de mode. Quelles réalités concrètes mettez-vous derrière ce terme ?
Celle de la main de l’homme qui intervient sur la matière. Ce qui me passionne, c’est de passer du temps à l’usine et d’interagir avec tous les artisans pour trouver ensemble de nouvelles techniques, de nouveaux matériaux, etc. C’est très encourageant de voir le fruit de nos recherches progresser de collection en collection.
Par exemple, je travaille beaucoup la maille et nous avons trouvé au fil du temps le moyen de la rendre extrêmement confortable. C’est un résultat invisible à l’œil nu mais qui se ressent dès qu’on enfile une pièce.
Parmi vos premières expériences professionnelles, il y a un passage chez Raf Simons, un créateur exigeant, ayant une liberté de parole et d’action. Qu’en retenez-vous et il y a-t-il des convergences entre son approche de la mode et la vôtre ?
Cette expérience a déterminé ma façon de travailler. Avec un management souple, une équipe resserrée, une ligne créative radicale et une furieuse envie de rester un créateur indépendant. De Raf Simons, je garde l’image d’un homme efficace qui a une vision très claire de son travail, ce qui était un vrai bonheur au quotidien. J’essaie d’instaurer ça dans ma boîte. De fédérer mon équipe autour d’un projet solide et sincère.
En 2014, vous décrochez le prix Galeries Lafayette au Festival de Hyères. En quoi cela fut-il un accélérateur dans votre parcours ?
Ce fut une année assez folle car je bouclais ma dernière année à La Cambre, je faisais mon stage chez Raf Simons et je fus sélectionné au Festival de Hyères. Ce prix a tout déclenché.
Ce fut un véritable tremplin qui m’a permis de signer des collaborations comme avec La Redoute ou Agnelle. Je reste très proche de l’équipe de la Villa Noailles et de Jean-Pierre Blanc – le directeur du Festival de Hyères, ndlr – qui compte parmi mes clients aujourd’hui. Ce qui est assez drôle !

©Dario Holtz

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Votre vestiaire témoigne d’une certaine recherche dans les matières et dans le porté des pièces. Se donner du temps pour créer de manière pertinente, plutôt que de répondre aux attentes du marché, c’était une évidence dès le lancement de la marque ?
Oui, je n’envisage pas de créer autrement. J’ai besoin de tester des idées et cela prend du temps. Je ne peux pas développer un produit intéressant en six mois. C’est ce qui est le plus difficile avec cette crise sanitaire. Elle nous empêche de dialoguer avec nos partenaires habituels à l’étranger qui enrichissent notre processus créatif.
Quelle masculinité dessinez-vous à travers les collections Louis-Gabriel Nouchi ?
Alors, je vais vous étonner car mon vestiaire est perçu comme androgyne et j’ai une clientèle féminine assez importante. Je ne l’avais pas du tout prévu. J’en conclus que je dessine des vêtements aux frontières floues, qui plaisent aux hommes, aux femmes, aux jeunes comme aux plus âgés. Je suis très fier de ça.
On se retrouve dans votre première boutique rue Oberkampf, à Paris. En quoi ce lieu vous ressemble-t-il ?
C’est mon quartier et j’y suis très attaché. J’ai choisi cet espace car il ressemble à une petite maison. On a pu installer la boutique au rez-de-chaussée et organiser un studio de création à l’étage. On gère tout à partir de ce lieu. Le fait d’avoir un ancrage physique rassure beaucoup notre clientèle. Elle peut toucher et essayer les pièces. C’est intéressant de constater que les ventes en boutique et sur le e-shop ne sont vraiment pas les mêmes.
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©Dario Holtz

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Vous placez les livres au cœur de vos collections. Pourquoi ?
J’ai toujours lu énormément depuis que je suis petit. En lançant ma marque, il m’a semblé naturel d’allier mes deux passions : la mode et la littérature. Du coup, chaque collection est inspirée d’un livre et s’imprègne de son époque, de son atmosphère, des couleurs qu’il évoque et bien-sûr du héros. Je mets en lumière des personnages assez similaires. Ce sont des outsiders qui se révoltent contre le système de manière pacifique, en étant à la marge. Je constitue mes looks à partir de tous ces éléments littéraires.
La dernière collection rend hommage à L’Étranger d’Albert Camus. C’est un clin d’œil à mes origines pieds-noirs. On y retrouve le bleu d’Alger, les rayures qui rappellent les foutas, le noir du deuil qui est au centre de l’intrigue…Je trouve intéressant de partir d’un texte pour ensuite créer des images de mode. Surtout à une époque où la photo domine ! Ça me plaît d’inverser ce rapport.
Quelle place les mots et les livres tiennent-ils durant cette période de crise sanitaire ?
Ils sont mon refuge. La littérature me permet de m’évader, de concevoir de petits films dans ma tête. Je peux continuer à rêver.
Vous défilez à la Paris Fashion Week. Quel est votre regard sur cet exercice, aujourd’hui réduit dans son expression ?
C’est une vraie fierté de participer à ces événements et comme toutes les marques nous nous adaptons à la période ! La Fédération de la Haute Couture et de la mode nous a fait confiance très tôt. J’aime bien utiliser les défilés pour promouvoir les différents arts. Pour l’été 2021, nous avons collaboré avec la Comédie Française et avons demandé aux comédiens de faire une lecture du livre sur lequel la collection était basée. Pour l’automne-hiver 2021-2022, nous faisons appel à des danseurs. J’ai hâte de renouer avec le défilé physique qui est un véritable terrain de jeu pour moi.

©Dario Holtz

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Sylvie Mombo
Défilé sur des textes lus par des comédiens !!!!….Réjouissant! Merci Pour ce bel article Inès Matsika !
admin01
Belle idée, hein !! Merci Sylvie :-))