Alexandre Blanc
Un designer à succès a déclaré la fin du streetwear* ? Ce n’est pas le créateur Alexandre Blanc qui le regrettera. A 37 ans, le jeune homme originaire de Toulouse, invente une mode libérée des tendances lourdes dans lesquelles tout le monde s’engouffre. Porté par son amour du cinéma d’auteur et de la peinture, il dessine des silhouettes que l’on qualifierait d’emblée de bourgeoises. Mais oubliez cette étiquette pour bien comprendre son travail. Son propos est de réhabiliter les lignes classiques en les dynamisant avec des imprimés peints et des tombés audacieux. Formé à l’école Duperré, ancien styliste chez Jil Sander et Yves Saint Laurent, Alexandre Blanc présente une troisième collection étonnante de maturité. Le jeune homme est soutenu par le show-room Sphère et par le journaliste au flair infaillible Loïc Prigent. Peu perturbé par l’attention croissante suscitée par sa marque, c’est avant tout en citoyen soucieux d’un monde en pleine crise sanitaire due au coronavirus qu’Alexandre Blanc prend la parole*.
Par Inès Matsika
Comme tous les français, vous êtes actuellement confiné chez vous. Avez-vous adapté le fonctionnement de votre marque à la crise sanitaire que nous traversons ?
En toute sincérité, je gère cette crise un peu au jour le jour. Je cherche encore un peu les moyens de m’organiser au mieux afin de continuer mon activité. Evidemment, on doit se plonger dans la partie comptable si l’on souhaite continuer à construire sur des bases solides.
C’est aussi l’occasion de questionner son fonctionnement. Suis-je oui ou non en phase avec mon époque et les priorités mondiales ? Comment participer activement aux changements que nous allons connaître ? Je ne veux pas subir mais être acteur de ce changement.
Comment vivez-vous le confinement ? Ouvre-t-il ou non un espace à votre créativité ?
Je travaille déjà beaucoup de chez moi. De ce fait, être confiné n’apporte pas un grand changement. Le sport et le bien manger deviennent des priorités et il est amusant de constater que moins d’ingrédients ne font pas un moins bon repas ! En revanche, l’idée de se jeter directement dans une énième collection n’a pas de sens pour moi.
À mon avis, les rythmes des collections vont être chamboulés, de nouveaux systèmes de présentation vont se mettre en place et il va falloir redoubler de créativité pour sortir de cette crise. Les pertes humaines sont terribles, et je pense qu’il va être très difficile de s’en remettre. Cependant, au niveau écologique, on voit déjà la pollution diminuer dans certaines régions. La solidarité se renforce. Il y a une prise de conscience, certes un peu tardive, de la santé et du bien-être collectif qui s’observe ici et là.
Même s’il est encore trop tôt pour se projeter, comment imaginez-vous le futur : le vôtre et celui de l’industrie de la mode ?
Cela ne se fera certainement pas du jour au lendemain mais j’espère que cette crise va permettre une industrialisation plus locale. Et pourquoi pas un retour au sur-mesure, à un rapport direct avec sa cliente ? L’achat d’une robe serait l’occasion de rencontrer le créateur autour d’une tasse de café et de participer à la création d’un modèle. C’est ce que je souhaite pour ma part : rencontrer mes clientes, leur parler, essayer de les comprendre. Cela va prendre du temps mais l’industrie de la mode ne pouvait pas continuer ainsi. Ce changement est nécessaire.
Étude de veste en drap de laine
Ébauches de bijoux
Pour en revenir à votre histoire, expliquez-nous comment la mode s’est imposée à vous ?
De manière détournée. Mon goût du vêtement vient d’heures passées à observer le corps. Plus jeune, j’ai beaucoup dessiné et peint des portraits de mon entourage. Et forcément mon œil s’attardait sur les tenues. J’avais une passion pour les peintres de la première moitié du 20ème siècle qui travaillaient la couleur. Cet amour pour la peinture a beaucoup nourri ma créativité. Plus tard, je suis tombé amoureux du cinéma et il fut un autre vecteur pour aborder la mode. J’ai été très ému par des portraits de femmes, notamment dans les films de François Truffaut. J’aime la sensualité et la fragilité qu’il a pu dévoiler chez une actrice comme Fanny Ardant, par exemple. Dans les films, j’ai observé comment la féminité était véhiculée, de manière très vivante, par les vêtements. Je n’ai jamais été un amateur de magazines. Je ne suis pas sensible aux images fantasmées qui y circulent. Ce qui me plaît davantage, c’est l’émotion et l’attitude que l’on peut transmettre à travers une tenue.
Quelle est la proposition vestimentaire de la marque Alexandre Blanc?
J’ai voulu traduire dans ma marque ce que j’ai pu voir au cinéma. J’ai retenu des héroïnes leur façon de se préparer le matin avec soin, puis d’oublier complètement leur tenue ensuite.
Croquis dans le salon d’Alexandre Blanc
Elles travaillent, déjeunent au restaurant, courent d’un point à un autre de la ville. Elles vivent complètement dans leur vêtement. J’ai donc beaucoup travaillé le porté des modèles car ils ne doivent ni encombrer ni empêcher le corps. C’est sur la femme et sa gestuelle que le regard doit s’attarder, pas sur ce qu’elle porte. J’aime par exemple, appliquer des fentes aux jupes corolles, pour ne pas entraver le mouvement mais aussi pour dévoiler avec élégance une partie du corps à travers un jeu de dentelle.
Vous avez travaillé pour des maisons prestigieuses comme Yves Saint Laurent, Carven et Jil Sander. Parlez-nous de ces expériences.
Yves Saint Laurent est mon couturier préféré. Ce fut une une grande joie de travailler pour cette maison et d’y décrocher mon premier emploi. A l’époque, la direction artistique était assurée par Stefano Pilati. Il avait ce sens des couleurs et des matières que je n’ai plus jamais vu ailleurs. Chez Balenciaga, j’ai vécu la liberté créative aux côtés de Nicolas Ghesquière et chez Carven, j’ai partagé la vision artistique de Guillaume Henry qui puise principalement son inspiration dans le cinéma. J’ai eu un coup de cœur pour ce designer dont l’exigence au niveau des détails et des portés m’a beaucoup fait évoluer. Je me suis ensuite occupé de la ligne Jil Sander Navy. Cette marque est souvent associée au minimalisme alors qu’elle a une démarche presque militante. L’idée était de créer un vestiaire pour une femme devant affronter un univers masculin. C’était un parti pris fort.
Bureau d’Alexandre Blanc
Vous dessinez et peignez vos imprimés. Vous donnez ainsi une touche artistique à vos modèles. D’où vient ce besoin ?
C’est une façon de se singulariser. Le marché de la mode foisonne de marques. Il faut avoir une proposition, partager une certaine sensibilité, sinon à quoi bon se lancer ? En intégrant des touches de peinture dans mes vêtements, je valorise mon imprimé et le différencie. Ce que je veux exprimer, c’est une certaine sophistication. Elle peut ne pas être évidente au premier regard mais elle apparaît dans les détails, les coupes, les tombés et les imprimés.
Certaines de vos pièces évoquent une élégance rétro. Êtes-vous pour autant une personne nostalgique ?
Pas du tout ! Et je n’ai aucun goût pour le vêtement vintage, même si je reste hanté par certaines images de mon enfance. Ce qui m’intéresse, c’est de donner un twist moderne à un vêtement de facture classique. Et de travailler les proportions pour qu’elles s’adaptent au corps d’aujourd’hui. J’aime aussi réfléchir aux grandes questions de mon époque, comme la non-binarité par exemple, et à la manière d’y répondre dans un vestiaire.
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La mode est en pleine redéfinition. Comment intégrez-vous les exigences de durabilité et d’inclusivité formulées envers ce secteur ?
Je suis en pleine réflexion sur ce sujet. Quand j’ai commencé à travailler, il y avait moins de collections et de gaspillage. Les lignes étaient aussi plus réduites. Aujourd’hui une marque doit proposer de la basket, du tee-shirt et de la doudoune ! On doit couvrir tous les produits. Je ne veux pas suivre cette voie. J’ai choisi de porter mon exigence sur des collections raisonnées et des circuits courts. Mes vêtements sont fabriqués en France et en Italie. Je privilégie la continuité dans mes collections. Je les élabore de manière à ce qu’il y ait un lien entre elles. Chaque saison, la nouvelle collection fait écho à la précédente au niveau des couleurs, des matières ou des formes. Ce qui m’intéresse est de faire des vêtements que l’on garde et que l’on peut associer entre eux au fil du temps. Et la crise que nous vivons aujourd’hui renforce mon idée première de faire peu mais bien et si possible, pas trop loin.
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Dans ce parcours exigent de créateur, conservez-vous une part d’errance et de rêverie ?
Il le faut mais c’est très difficile quand on devient chef d’entreprise et qu’on doit faire face à diverses contingences. Je cherche encore l’équilibre. ll faut bien s’entourer et se structurer. Je m’y attèle chaque jour.
À écouter : Alexandre Blanc se raconte dans un podcast
L’héritage mode d’Alexandre Blanc
Première émotion mode
C’était au collège. Certaines jeunes filles étaient très populaires. Un jour, l’une d’entre elles a porté la blouse en crêpe noir de sa mère. C’était complètement inapproprié pour son âge. J’ai adoré.
Une odeur liée à un souvenir mode
Je suis tellement gourmand que j’ai envie de parler de gâteaux ! Ça m’amuse plus de suivre des pâtissiers sur Instagram que des créateurs de mode ! Mais je pourrais évoquer l’odeur du linge propre, surtout quand il a séché au soleil. C’est assez enivrant.
Les designers qui vous ont donné envie de faire ce métier
Azzedine Alaïa, Albert Elbaz, Yves Saint Laurent et Dries Van Noten. C’est mon top 4 absolu.
Les artistes qui ont forgé votre goût du beau
Bonnard pour l’éloge de la couleur, Matisse pour la joie qui traverse ses oeuvres, Raoul Dufy pour l’évocation d’un certain mode de vie.
*Déclaration de Virgil Abloh (directeur artistique d’Off White et de Louis Vuitton Homme) dans une interview accordée au magazine Dazed le 17 décembre 2019. / * L’interview d’Alexandre Blanc a été réalisée début mars 2020 et a été actualisée par mail après le début du confinement instauré pour lutter contre le coronavirus.