Tourner ses yeux vers le sud. C’est le mouvement auquel Maryline Bellieud-Vigouroux nous incite depuis plus de trente ans. Avec l’appui d’Azzedine Alaïa et de Pierre Bergé, elle a fait de Marseille un laboratoire de mode en créant la MMM (Maison Mode Méditerranée).
L’objectif : faire émerger des jeunes créateurs ayant en commun une identité méditerranéenne à travers le concours international OpenMyMed Prize, et valoriser un patrimoine de mode méridionale au sein d’un musée. Les fidèles ambassadeurs de cette pépinière s’appellent Sakina M’sa, Simon Porte Jacquemus ou Emma François, fondatrice de Sessun.
En pleine crise sanitaire due au coronavirus, la MMM poursuit son soutien aux jeunes créateurs fragilisés par la situation. Entretien avec Maryline Bellieud-Vigouroux dont l’action propulse une génération entière de talents.
Par Inès Matsika
Maryline Bellieud-Vigouroux. ©Patricia Giudicelli
Marija Kulusic, lauréate OpenMyMed 2020-2021
Un mois vient de s’écouler depuis l’annonce du confinement. Dans quel état d’esprit vous trouvez-vous ?
Je vais bien. Je vis le confinement, dans de bonnes conditions, à Marseille, sous un climat agréable. Je me considère comme une privilégiée. Ma positivité est nourrie par ce que j’observe dans la filière de la mode. Grandes distributions, marques émergentes et groupes de luxe font preuve de combativité. Chacun veut contribuer, à son niveau, à l’effort national rendu nécessaire en ce moment historique. J’en suis fière.
Vous avez fondé il y a 32 ans la MMM. Aujourd’hui, vous en êtes l’administratrice. Pouvez-vous nous présenter ses différentes missions?
S’il fallait les résumer, je dirais : valoriser la culture méditerranéenne, faire émerger les stylistes issus de ce bassin et former aux métiers de la mode. Depuis 10 ans, nous organisons le concours OpenMyMed Prize qui récompense de jeunes talents français et internationaux qui, chacun à leur manière, sont détenteurs d’un patrimoine de mode méditerranéen et le font vivre à travers leurs créations. Nous accompagnons les lauréats, issus de nombreux pays, durant deux ans. La réflexion que nous menons ensemble porte sur le choix d’un business model pertinent intégrant les enjeux de la mode que sont la durabilité et la préservation des savoir-faire. Nous sommes également partenaires du Musée de la mode que j’ai fondé il y a 32 ans (aujourd’hui intégré au Musée des arts décoratifs, de la faïence et de la mode, Ndlr). Il détient en majorité des collections de créateurs français ayant une filiation avec la Méditerranée, comme Azzedine Alaïa, Christian Lacroix et Paco Rabanne. Nous participons à l’organisation des expositions et y présentons aussi, lors d’événements, les créateurs contemporains que nous soutenons. Le dernier axe de la MMM est la formation. Depuis 2006, en partenariat avec Aix-Marseille Université, nous avons mis en place une licence des métiers de la mode, ainsi qu’un Master 1 et 2. Nos missions sont évolutives et débattues au sein d’un conseil d’administration composé, entre autres, de Sidney Toledano (président du LVMH Fashion Group, Ndlr), d’Emma François fondatrice de Sessun, de Chanel et de Kaporal.
Exposition 2019 OpenMyMed, Azzedine Alaïa et Paco Rabanne© Baptiste Le Quiniou
Exposition 2019 OpenMyMed, Jacquemus © Baptiste Le Quiniou
Exposition 2019 OpenMyMed, Koché © Baptiste Le Quiniou
Exposition 2019 OpenMyMed, Yacine Aouadi © Baptiste Le Quiniou
Comment la MMM s’est-elle adaptée à la crise que nous traversons ?
Le jury de l’OpenMyMed Prize est composé de personnalités internationales et nous avons l’habitude de communiquer par le biais du numérique. Donc, la crise n’impacte pas notre mode de fonctionnement. De plus, elle intervient durant la phase d’accompagnement des lauréats qui se fait dans un premier temps à distance, via une plateforme sécurisée. En revanche, la MMM Fashion Academy qui devait accueillir en juin les 13 jeunes créateurs à Marseille est annulée.
Allez-vous davantage préparer les jeunes talents que vous accompagnez aux enjeux actuels de la mode et à la nécessité de s’adapter à un contexte économique incertain ?
Ils sont nombreux à vivre dans des pays qui connaissent une instabilité politique, comme l’Egypte ou la Turquie. Nous avions déjà pris de plein fouet le Printemps arabe. Nous savons à quel point il est crucial d’apprendre aux jeunes marques de faire face à des problématiques qu’elles n’avaient pas envisagées. La MMM respecte le schéma personnel de chaque créateur et prend en compte le contexte dans lequel il développe sa marque pour l’accompagner au mieux.
Qu’attendez-vous des acteurs de l’industrie de la mode en ce moment historique? Quelles responsabilités doivent-ils endosser ?
Tout le monde va devoir se réinventer. Petits comme grands acteurs de la mode. Ce qui m’importe, c’est que nous avancions ensemble. Qu’il s’agisse des fédérations, des grands groupes et des marques émergentes : il faut que l’on travaille de concert pour améliorer cette industrie. Et le chantier doit bien évidemment commencer par la notion de travail dans ce secteur. Je place beaucoup d’espoir dans le bon sens. J’aimerais que nous soyons moins dans la quête du chiffre d’affaires pour valoriser la place de l’humain dans l’entreprise.
Quoï Alexander, lauréat OpenMyMed 2020-2021
Ahmed Amer, lauréat OpenMyMed 2020-2021
De grandes questions vont également se poser comme celles des semaines de la mode avec leurs lots de défilés, de show-rooms professionnels, de journalistes et d’acheteurs qui se déplacent du monde entier. C’est un système qui sera questionné et qui évoluera très certainement.
En 32 ans, vous avez réussi à faire de Marseille un incubateur de mode et à orienter les projecteurs vers les talents méditerranéens. Pourquoi cela vous était-il essentiel ?
Marseille est la deuxième ville de mode après Paris. C’est une réalité économique. Je suis donc partie de ce constat. La ville est ouverte sur un port qui a absorbé durant des décennies une immigration composée de différents talents. Des couturiers, des tailleurs, des professionnels du cuir – pour la plupart issus de pays méditerranéens- se sont installés à Marseille et y font rayonner leur savoir-faire.
La ville est riche de ces cultures qui se sont unifiées pour n’en former plus qu’une. J’ai eu envie de valoriser un des socles de notre histoire commune. C’est ainsi qu’est né en 1988 l’Institut Mode Méditerranée, aujourd’hui MMM, avec pour mission de défendre le patrimoine de mode méditerranéen à travers un musée et de faire émerger de jeunes talents.
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Festival OpenMyMed 2017, carte blanche à Jacquemus, ©Lucas Vasco
Darin Hachem, lauréate OpenMyMed 2020-2021
Darin Hachem, lauréate OpenMyMed 2020-2021
Quoï Alexander, lauréat OpenMyMed 2020-2021
Quelles sont les rencontres et personnalités qui vous ont aidée dans ce combat ?
Pour ce projet assez audacieux, j’ai été extrêmement aidée par le couturier Azzedine Alaïa qui fit une généreuse dotation au musée, par Pierre Bergé (homme d’affaires et compagnon d’Yves Saint Laurent, Ndlr) et par Edmonde Charles-Roux (journaliste et écrivaine, Ndlr). Une autre rencontre déterminante fut celle de Lilou Grumbach. Elle était le bras droit de Coco Chanel. Celle-ci lui légua une partie de son vestiaire personnel. Lilou Grumbach nous confia 24 pièces– dont les fameux tailleurs qu’affectionnait la couturière – et après achat par des mécènes, nous avons pu intégrer ce vestiaire exceptionnel au fonds du musée. Cela donna naissance en 1988 à l’exposition Mademoiselle Chanel et Karl dans les murs du musée Borely, en présence de nombreux créateurs comme Jean-Charles de Castelbajac, Chantal Thomass et Isabel Marant, qui, à leur tour, dotèrent de manière très généreuse le musée. Cette genèse constitue les fondements de la MMM aujourd’hui : une réflexion sans cesse nourrie sur le style méditerranéen.
L’action de la MMM a permis de voir éclore de nombreux talents. Quels sont vos plus beaux succès ?
La MMM a été un révélateur de talents non formatés comme Sakina M’sa, pionnière de la mode responsable, et Emma François dont la marque Sessun nous rend fiers depuis 25 ans. Nous collaborons avec des étoiles montantes du style méditerranéen comme Simon Porte Jacquemus et Christelle Kocher –fondatrice du label Koché- à qui nous avons donné carte blanche lors du festival de l’OpenMyMed en 2017 et en 2018.
L’année dernière fut une année importante car nous avons célébré les 10 ans du concours. L’occasion de mesurer le chemin parcouru. Une exposition sur 30 créateurs primés fut organisée au Musée des Arts décoratifs, de la faïence et de la mode. Suite à cet événement, nous avons reçu le label Sommet des deux rives, Forum de la Méditerranée qui nous permet aujourd’hui de dialoguer avec le ministère des Affaires Étrangères et de l’Europe. Beaucoup de choses restent naturellement à accomplir, mais j’ai le sentiment d’un travail bien fait. Et mon équipe, à qui j’ai transmis mes valeurs, saura les véhiculer dans les années à venir.
Quoï Alexander, lauréat OpenMyMed 2020-2021
En haut de page: Festival OpenMyMed 2019, © Greg Gex.
Direction artistique: Yacine Aouadi & Matthieu Pabiot