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Umòja Shoes

Umòja Shoes, la basket responsable conçue avec des savoir-faire africains

Umòja Shoes, c’est l’histoire de deux amis, Lancine Koulibaly et Dieuveil Ngoubou, qui se lancent un pari. Celui de créer la première basket végétale. Rien ne prédestinait les jeunes hommes de 31 et 29 ans à travailler dans la mode. Mais l’envie de concilier carrière et idéaux environnementaux les pousse à monter ce projet en 2017. Après avoir quitté l’Afrique pour étudier en France, les deux compères originaires de Guinée et du Congo, ancrent leur aventure sur le continent. Leur objectif : s’appuyer sur des savoir-faire locaux pour fabriquer une basket responsable, sans plastique ni produit chimique. A travers des collections chics et minimalistes, Lancine et Dieuveil ont à cœur de promouvoir l’artisanat africain. Ils veulent le sortir d’un carcan folklorique dans lequel il est enfermé depuis trop longtemps. Depuis Ouagadougou où il s’est installé, Dieuveil Ngoubou nous explique les contours de leur démarche : engagée, sincère et profondément humaniste.

Par Inès Matsika

Photos : Charlaine Croguennec

Dieuveil Ngoubou (assis), Lancine Koulibaly (debout)

Umoja Shoes

L’aventure d’Umòja Shoes démarre avec un voyage en Afrique qui sera révélateur. Quelle prise de conscience a-t-il provoqué chez vous ?

Ce voyage a eu lieu en 2017. A l’époque, j’avais décidé d’arrêter mon Master de droit. De son côté, Lancine qui s’était lancé dans une carrière dans les assurances, arrivait à saturation. Le rythme métro-boulot-dodo ne lui convenait plus. Cela faisait un moment qu’on échangeait sur l’entreprenariat mais sans jamais pousser plus loin la question. C’était donc le moment de le faire ! Très vite, l’idée de diriger notre regard vers l’Afrique s’est imposée. On avait envie de démontrer à tous les sceptiques qu’il était possible de développer un business innovant depuis le continent, en s’appuyant sur des compétences locales. Nous sommes partis chacun de notre côté dans différents pays. Lancine, en Guinée le pays dont il est originaire, et moi en Côte d‘Ivoire (où j’ai grandi) et au Bénin. Ces voyages nous ont ouvert les yeux sur les savoir-faire africains qui sont exceptionnels et très peu valorisés. Ils subissent la concurrence déloyale du wax, qui est surmédiatisé, alors qu’il n’est même pas africain…

Comment votre entourage a-t-il pris votre abandon d’une carrière sécurisante dans le droit ?

Assez mal ! (rires). Ils n’ont pas compris que je ne tente pas de décrocher mon diplôme. Mais je savais qu’une carrière dans le droit ne correspondait pas à mes idéaux. Il était donc inutile de perdre du temps. J’ai fait abstraction de la pression. Aujourd’hui, c’est encore un choix qu’il faut défendre notamment face à des proches qui ont le même âge et qui, après quelques années d’activité, sont confortablement installés. Même si notre trajectoire n’est pas aussi fulgurante, Lancine et moi sommes persuadés que nous bâtissons un projet d’avenir, qui œuvre à proposer une alternative aux générations futures.

 

Umoja Shoes
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Avec Lancine, vous faites le choix de créer une basket responsable. Pourquoi ce produit ?

Il n’est pas nécessaire de faire une étude de marché très poussée pour comprendre qu’aujourd’hui tout le monde porte des baskets (rires). Le choix de cet accessoire s’est donc vite imposé. Nous avions envie de l’aborder différemment en prenant le contre-pied de tout ce qui se fait actuellement sur le marché. Non pas en terme de design, car nous avons opté pour des lignes simples, mais au niveau de l’éco-responsabilité. Nous souhaitions faire un pied de nez au greenwashing qui règne dans le secteur. Nous avons mobilisé nos efforts pour comprendre comment verdir les multiples éléments qui interviennent dans la création d’une basket, et sur lesquelles les marques se penchent peu ! Nos semelles extérieures sont en lait d’hévéa, celles intermédiaires en fibre de chanvre ; nos lacets sont en lin, la colle en latex naturel

Vous avez particulièrement soigné le sourcing au début de l’aventure Umòja Shoes. Quels critères ont guidé vos choix ?

L’objectif était de trouver des artisans qui travaillent des matières naturelles. On a sourcé le coton bio au Burkina Faso et au Mali ; le raphia au Congo et au Cameroun ; les fibres de bananier en Ouganda. On a mis en place un cahier des charges strict en demandant aux artisans de n’utiliser que de la teinture végétale. Il nous a fallu du temps pour trouver les personnes capables d’intégrer ces contraintes à leur travail. Toutes les matières qui composent la basket ne proviennent pas d’Afrique. Pour concevoir un produit aussi complexe, il est difficile de tout trouver dans une seule zone géographique. Nous avons donc étendu notre sourcing à la France et au Portugal. Mais à terme, on aimerait importer certains savoirs en Afrique – comme la fabrication de lacets – et former les artisans au sein d’ateliers.

Qu’est-ce qui vous a le plus étonné dans vos rencontres avec les artisans africains ? En quoi était-ce pour vous important de soutenir, à travers ce projet, l’économie locale ?

Nous avons observé des savoir-faire qui n’ont rien à envier à ceux déployés en Occident ou en Orient. Il nous a semblé essentiel de les promouvoir et de contribuer à un changement de regard sur la créativité africaine. Ces artisans ne sont pas reconnus à leur juste valeur alors qu’ils sont précieux et qu’ils perpétuent des techniques ancestrales. Nous avons à cœur de les rémunérer justement afin qu’ils poursuivent leur œuvre. On veut aussi montrer aux jeunes que c’est un métier noble et qu’il est possible de gagner correctement sa vie avec.

Aujourd’hui, vous concentrez le sourcing d’Umòja Shoes au Burkina Faso où vous vous êtes établi. Pourquoi ce choix ?

On s’est rendu compte que c’était énergivore et très coûteux de sourcer les matériaux dans autant de pays. Il était difficile pour notre petite structure de tenir le rythme ! Après réflexion, le pays qui nous a semblé avoir la plus grande capacité de production est le Burkina Faso. Nous travaillons avec le centre artisanal Adaja à Ouagadougou. Il emploie des personnes vulnérables et leur permet ainsi de se réinsérer. J’ai pris la décision de m’installer au Burkina Faso pour développer les relations de confiance avec ces artisans. Il est tellement plus facile de travailler main dans la main, plutôt qu’à distance. On avait aussi la volonté de ne pas être qu’un simple client pour le centre Adaja, mais de devenir un véritable partenaire qui les accompagne pour gagner en compétences et améliorer leurs conditions de travail.

Umoja Shoes
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Avant même de lancer la production, vous avez pris le temps de former une communauté sur les réseaux sociaux, que vous avez-même consulté pour faire les bons choix. Comment avez-vous entamé le dialogue avec elle ?

Au tout début de l’aventure, Lancine et moi avons revêtu nos habits de consommateurs. On s’est demandé comment est-ce qu’on aimerait qu’une marque communique auprès de nous sur son projet en construction. J’ai toujours aimé la narration. Il m’a semblé intéressant de partager avec la communauté naissante les différentes étapes de fabrication de nos baskets, entre l’Europe et l’Afrique. On les a fait pénétrer dans nos coulisses. Ils ont pu tout suivre : du champ de coton au Mali jusqu’à l’assemblage du produit final au Portugal. Notre envie était aussi de susciter une prise de conscience sur tout le chemin parcouru pour arriver au produit final, et une meilleure appréciation de sa valeur.

Avec le recul, quels sont les développements dont vous êtes les plus fiers ?

Nous sommes fiers d’être la première marque à avoir fabriqué une basket 100% végétale sur tous les aspects : colle, fils de couture, lacets, semelles internes comme externes. La rencontre avec les différents artisans est aussi notre plus bel accomplissement. Ranimer chez eux la confiance en leur métier est très satisfaisant

Sur quoi portent les principales recherches pour les prochaines collections ?

Développer davantage le confort de la basket ! Ce n’est pas tout d’être végétale, elle doit aussi être agréable au pied (rires). Notre grand projet est de travailler sur la biodégradabilité de nos produits. Il faudrait, qu’en fin de vie, ils puissent se désintégrer de manière naturelle, sans polluer les sols.

Nous voulons aussi mettre un place un outil pour calculer l’impact carbone de nos chaussures.  L’autre sujet qui nous préoccupe, c’est la manière de réduire la pénibilité subie par les artisans. On a à cœur qu’ils ne soient pas cassés par le labeur au bout de plusieurs années de travail dans les ateliers.

Avec Umòja Shoes, avez-vous le sentiment de participer à la déconstruction d’une approche folklorique des produits africains en ancrant vos modèles ainsi que votre image dans une grande modernité ?

Complètement, et c’est une volonté ! Nous travaillons avec une designer, Marion Clément, qui a tout de suite compris l’identité d’Umòja Shoes. Elle a choisi une direction artistique – au niveau du produit comme de l’image – qui valorise l’artisanat africain de manière actuelle.

En vous établissant au Burkina-Faso, vous grossissez le rang des « Repats* ». Quel regard portez-vous sur les opportunités créatives du pays et quel message auriez-vous pour ceux qui souhaitent développer une aventure entrepreneuriale sur le continent ?

Tout est à faire en Afrique. Il ne faut pas hésiter à s’investir sur le continent ! Il est important de sortir de sa zone de confort et de prendre ce risque car on en sort grandi. Je suis très impressionné par le dynamisme du Burkina Faso. Même si le pays est déstabilisé par la menace djihadiste, les gens ne se laissent pas impressionner et vont de l’avant. Les projets demandent certainement plus d’efforts pour les développer mais ça en vaut la peine. Il y a de belles choses à faire en Afrique.

* Personnes issues de la diaspora africaine vivant en Europe et en Amérique du nord qui reviennent en Afrique pour y faire carrière.

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