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Imane Ayissi, défenseur de la création africaine

Imane Ayissi

Imane Ayissi © @lindamestaoui

C’est une créature longiligne, tout de noir vêtue, qui ouvre la porte de l’appartement-atelier, situé dans le 10ème arrondissement de Paris. A 51 ans, Imane Ayissi garde la silhouette de mannequin qu’il fut durant les années 90. L’homme, à l’élégance évidente, a depuis longtemps délaissé les podiums pour endosser le costume de couturier. Depuis près de trente ans, il développe un savoir-faire couture qu’il applique à des pièces uniques ou à sa ligne de prêt-à-porter haut de gamme. Chaque modèle, façonné dans un souci d’excellence, célèbre le continent africain. D’origine camerounaise – et Parisien d’adoption – l’artiste valorise sans relâche un patrimoine méconnu auquel il intègre les codes du luxe. Une alliance singulière, justement récompensée par l’entrée du créateur comme membre invité du calendrier de la Haute Couture parisienne*.  Avec une franchise rare, Imane Ayissi – qui est le premier ressortissant subsaharien à recevoir cet honneur -revient sur la portée de cet événement et sur son parcours d’autodidacte conscient.

Par Inès Matsika

Photos: @lindamestaoui

 2020 est une année importante. Elle signe votre entrée au calendrier officiel de la Haute Couture parisienne. Qu’avez-vous ressenti exactement à l’annonce de cette nouvelle ?

J’ai sursauté de joie. Et en même temps, je me suis demandé s’ils ne s’étaient pas trompés (rires). J’avais évidemment posé ma candidature, appuyée par mes deux parrains : la maison Yves Saint Laurent et Didier Grumbach (homme d’affaires investi dans la mode, Ndlr). Quand j’ai vraiment réalisé que j’étais retenu, les larmes ont coulé. Et le fil de ma vie s’est déroulé devant moi. J’ai observé un moment de silence et de réflexion sur tout le chemin parcouru.

Cette consécration salue un savoir-faire couture développé depuis près de 30 ans. Avec le recul comment expliquez-vous votre persévérance. Cette volonté de donner la place qui lui revient à votre art ?

On s’est toujours beaucoup inspiré de l’Afrique sans vraiment laisser de place aux designers issus du continent. La porte du luxe ne leur était pas ouverte. Je ne me suis jamais résolu à ce constat. J’ai travaillé dur pour entrebâiller cette porte et enfin pénétrer à l’intérieur du cercle. Il m’a fallu comprendre et atteindre le niveau d’excellence exigé. Il n’y a pas de place pour l’à-peu-près. J’aurais pu renoncer, me lasser, car la route fut longue. Mais j’ai toujours été motivé par la nécessité de faire découvrir une autre facette de l’Afrique et de l’associer à l’univers du luxe. C’est à la fois un combat et une passion.

Qu’est ce qui vous plaît tant dans le concept de « haute couture » ?

Le raffinement, la rareté des étoffes, le travail artisanal, la défense d’un certain savoir-faire, la valorisation d’une culture de la mode….La liste est longue, je suis intarissable sur ce sujet (rires).

 

Lire aussi: Sur les pas d’Yves Saint Laurent avec Laurence Benaïm

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© @lindamestaoui

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© @lindamestaoui

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© Fabrice Malard

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© Fabrice Malard

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© Fabrice Malard

Depuis le début vous rendez visible le patrimoine africain à travers vos créations. Qu’avez-vous à cœur de représenter, voir même de démontrer ?

Dans mon travail, je donne à voir une Afrique authentique et non fantasmée. J’explore un patrimoine textile extrêmement riche. Je le rends accessible à tous en le réinventant. Je façonne aussi une certaine esthétique qui met à bas les sempiternels clichés.

Vous faites partie de ces créateurs qui tournent le dos au wax, pour privilégier des tissus traditionnels africains. Expliquez-nous ce parti pris et les matières que vous affectionnez.

Je ne fais pas de procès à cette matière d’origine indonésienne, importée sur le continent par les Néerlandais. Pour la marque Imane Ayissi, j’ai choisi d’exprimer une identité africaine qui existait bien avant la présence coloniale. Il est important de valoriser cette partie de notre histoire. Elle n’a pas commencé quand les Européens sont arrivés sur notre sol. Il appartient aux Africains de la raconter, de s’en emparer, en mettant en avant nos richesses et nos grandes figures historiques. Dans mon domaine, je fais redécouvrir la beauté du raphia, du tissu kenté issu du Ghana ou du manjak, une étoffe du Sénégal.

Un autre regard se pose sur la création africaine. Elle est enfin valorisée, récompensée. Quels les sont les designers qui émergent sur le continent dont vous célébrez le travail ?

Avant de parler des nouveaux talents, j’ai envie de citer Chris Seydou qui était un créateur malien avant-gardiste (décédé en 1994, Ndlr). Je partage sa vision. Il a beaucoup utilisé des matières africaines comme le bogolan et a été un des premiers à leur donner un twist moderne. Parmi la jeune génération, je suis bluffé par le travail du Sud-Africain Thebe Magugu (lauréat du prix LVMH 2019, Ndlr).

Je sais à quel point il est difficile de hisser une marque à un certain niveau, dans des pays où il manque encore de structures et d’investisseurs pour soutenir la création.

imane ayissi

© @lindamestaoui

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© @lindamestaoui

Nous vivons un moment historique. La contestation mondiale contre les violences policières à l’encontre des noirs entraîne une réflexion sur la place qui leur est accordée au sein des sociétés occidentales. Dans l’industrie de la mode, des voix s’élèvent pour soutenir davantage les créatifs noirs. Qu’en pensez-vous ?

C’est dans l’air du temps. Il faut se donner rendez-vous dans un an ! J’aimerais que ces paroles se concrétisent par des actes forts. Ceci étant dit : j’estime qu’il appartient aux créatifs noirs de s’organiser en créant leurs propres lobbys. Nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre. Il ne faut pas pleurnicher sur notre sort et laisser l’initiative aux autres.

Sur le continent africain, j’attends des personnes qui ont un pouvoir d’achat qu’elles consomment local. Les talents ne manquent pas sur place. Mais malheureusement, cette conscience-là fait encore défaut. Il faut que nous rééduquions notre œil afin d’apprécier, à sa juste valeur, ce que nous créons en Afrique.

Allez-vous participer à la Fashion Week parisienne digitale en juillet, et si oui, comment ?

Bonne question (rires) ! La période est très compliquée. Je respecte le fait que l’on ne puisse pas se réunir pour éviter tout risque sanitaire. La Fédération de la Haute Couture et de la Mode nous permet de présenter nos travaux autrement. Nous sommes donc en train de mettre en place nos idées, mais il est probable que nous présentions la collection via une vidéo et des photos.

Je fait partie de ceux qui pensent que plus rien ne sera comme avant et j’apprécie cette mutation. Sur le plan créatif, elle nous astreint à développer de nouvelles idées. Et sur le plan environnemental, elle était tout simplement nécessaire. Nous avons abîmé de manière outrageuse la nature. Chaque citoyen a sa responsabilité. Depuis des années, j’essaie d’agir à mon petit niveau, en privilégiant les tissus naturels et les teintures végétales.

imane ayissi

© @lindamestaoui

Avant d’être couturier, vous avez été mannequin durant les années 90 et avez défilé pour les plus grandes maisons. A l’heure où le système du défilé se transforme, pouvez-vous partager avec nous un souvenir mémorable ?

J’ai été un mannequin cabine (sur lequel on modèle une tenue, NDRL) et j’ai défilé sur les podiums. Ce que j’ai adoré par dessus tout, c’était d’observer les couturiers. Sentir leur concentration extrême, les voir répéter des gestes pendant des heures pour trouver le parfait tombé d’un vêtement… C’était fascinant d’assister à la construction des modèles et de les porter ensuite. J’en ai tiré un profond respect pour ce travail exigent. Les seigneurs de la mode, comme Azzedine Alaïa, Pierre Cardin et Yves Saint Laurent, m’ont beaucoup appris. Ils étaient tellement humbles, alors qu’ils avaient de l’or entre les doigts. Pour moi, ils ont écrit les plus belles pages de l’histoire de la mode. 

Aujourd’hui, quelles sont vos ambitions pour votre marque Imane Ayissi ?

Je souhaite que ma maison évolue, qu’elle grandisse et qu’elle creuse profondément son sillon. Si je devais disparaître demain, j’aimerais que l’on pense au combat que j’ai mené pour la mode, et pour les Africains. Et si « le grand ciel » décide de me donner longue vie, alors je serais le plus heureux des hommes.

 

* La Fédération de la Haute Couture et de la Mode sélectionne, après candidature, les membres invités qui participent aux défilés de la Haute Couture Parisienne.

 

www.imane-ayissi.com

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