La liberté d’être et de faire. C’est ce qui semble animer Benjamin Benmoyal. A tout juste 30 ans, le Franco-israélien à la tête d’un label éponyme lancé il y a un an, sort des sentiers battus. Après une expérience en tant que militaire, il prend un virage à 360°C pour se consacrer à la création et se former à la mode à la prestigieuse Central Saint Martins. Durant cette expérience exigeante naît l’idée d’un vestiaire fabriqué à base de bandes magnétiques VHS. Un procédé novateur et responsable que Benjamin Benmoyal prend le temps de mettre au point malgré les péripéties. Déterminé, il poursuit librement une voie jusque-là inexplorée et se fait remarquer dès sa première collection. Depuis un joli buzz entoure sa marque et lui vaut d’entrer au calendrier officiel de la Paris Fashion Week, où il vient de présenter avec succès sa collection automne-hiver 2021-2022. Encore étonné par cette rapide reconnaissance, on le rencontre dans son atelier pour une interview « premières fois » inspirée par son matériau insolite – les bandes magnétiques – qui nous projette de manière réjouissante dans le passé.
Par Inès Matsika
Reportage photos : Dario Holtz
Benjamin Benmoyal © Dario Holtz
© Dario Holtz
Les premiers émois face à la beauté. C’était à quel âge et devant quoi ?
Ils sont venus assez tard. A 23 ans, j’ai voyagé seul en Islande. J’ai traversé le pays d’est en ouest, avec ma tente et mon sac à dos. C’est la première fois que j’ai vraiment apprécié le beau. Je me suis senti petit face à la nature grandiose. Je me souviens d’être entré dans le cratère d’un volcan. C’est certainement une des plus belles choses au monde qui m’ait été donné de voir.
Les premières sensations en Israël quand vous vous y êtes installé après le Bac
Quand j’ai décroché mon diplôme, j’étais complètement paumé. En France, on est censé choisir des études et une filière très tôt. Et moi, je ne savais pas du tout vers quoi m’orienter. J’ai suivi mes parents qui ont emménagé en Israël et là, j’ai basculé dans un autre monde, que je connaissais à peine. Les premiers mois furent étranges, mais très vite j’ai compris que j’allais gagner en liberté. En Israël, on n’a pas la même approche des études. On encourage les jeunes à prendre une année sabbatique avant d’entamer le cycle supérieur. Je me suis senti autorisé à expérimenter et à me détourner de la voie scientifique à laquelle mes parents me destinaient.
Le jour où, après 3 années de service militaire, vous vous autorisez à devenir un créatif. Comment s’est opérée la bascule ?
En Israël, le service militaire est obligatoire. J’ai donc servi comme parachutiste durant trois ans. Une expérience éprouvante mais qui m’a beaucoup appris humainement. Elle m’a aussi permis de savoir ce que je voulais faire de ma vie. En France, je ne savais pas qui j’étais. J’ai découvert que j’étais sensible et que j’avais envie de travailler avec le corps et le beau.
Je me rappelle parfaitement le jour où j’ai eu le déclic. C’était un soir, dans mon lit de militaire. Je réfléchissais et je n’ai pas réussi à fermer l’œil de la nuit. J’ai pris la décision de travailler dans la mode dès mon retour à la vie civile.
© Dario Holtz
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Les premiers désirs de mode. Face à quoi ou grâce à qui ?
C’est difficile à dire. C’est venu graduellement. Quand j’ai vraiment commencé à m’intéresser à la mode, j’ai beaucoup regardé le travail d’Alexander McQueen. J’étais bluffé par ses défilés qui équivalaient à des performances artistiques. J’ai saisi que la mode pouvait être un art à part entière.
Le jour où vous avez senti que l’étudiant de la Central Saint Martins devenait un créateur
C’est venu tardivement. Pour me former à la mode, j’ai effectivement choisi une des meilleures écoles, située à Londres. J’ai eu une expérience différente des autres étudiants. J’ai arrêté le service militaire le 28 août 2013 et je suis rentré à Saint Martins le 2 septembre 2013. Je n’ai pas connu de transition ! Du coup, dans ma tête, j’étais encore un soldat quand je me suis assis sur les bancs de cette école. Et ça a perduré pendant un moment. J’ai dû faire un gros travail sur moi pour entrer dans la peau d’un étudiant de mode. Mais au milieu de la formation, je me suis enfin autorisé à me considérer comme un créatif. En plein cursus, j’ai pris la liberté de prendre deux années sabbatiques pour expérimenter d’autres choses. J’ai travaillé pour les maisons Mcqueen et Hermès. Une évidence s’est alors imposée : celle de lancer mon propre label. En parallèle, j’ai donc développé un projet insolite : la construction d’un vestiaire à base de bandes magnétiques. Elles représentent toute mon enfance passée à regarder des films en VHS. Je me revois apprendre à tisser tout seul pendant des heures ce support en plastique, dans une cave du sud de Londres à Peckham ! J’ai vite compris qu’il me faudrait sortir de la phase expérimentale pour trouver un modèle économique viable. Je me suis donc lancé dans un long processus pour trouver les bons partenaires. Je suis ensuite revenu à l’école pour présenter ma collection finale, décrocher mon diplôme au bout de six années d’études et lancer officiellement ma marque Benjamin Benmoyal. Avoir ce projet m’a beaucoup motivé !
© Dario Holtz
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La première pièce réalisée en bandes magnétiques
Ma première création fut réalisée avec mes K7 VHS de l’enfance. J’ai réalisé un produit avec neuf tissus différents que j’ai gardé : un manteau très volumineux et architectural. C’était vraiment esthétique. À cette période, ces K7 représentaient un retour vers une certaine naïveté que j’avais perdue suite à mon expérience dans l’armée. Il y avait une dimension cathartique.
Les premiers échecs inhérents à un processus créatif exigeant et novateur
Il y en a eu (rires). J’ai commencé à travailler les bandes magnétiques en 2013 et j’ai lancé la marque en 2020 ! Ça a été un vrai défi d’industrialiser leur tissage. Nombreux sont ceux qui m’ont dit que ce serait impossible et qui m’ont fermé la porte au nez !
J’ai eu un gros doute lorsque j’ai réalisé que les désosser prenait un temps fou et donc que ce ne serait jamais rentable ! J’ai cru que mon projet tombait à l’eau jusqu’à ce que je trouve une association anglaise de recyclage qui enlève le plastique des K7. J’ai ainsi reçu 300.000 bandes magnétiques prêtes à l’emploi. Une aubaine ! Car l’autre challenge, ce fut de trouver la matière. J’ai contacté des usines en République tchèque, au Portugal et aux Etats-Unis afin de récupérer leurs stocks. Il m’a fallu un an pour collecter mon matériau.
Durant toutes ces aventures, j’ai vécu beaucoup de désillusions, mais malgré tout, j’ai continué d’y croire.
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La première personne qui a cru en votre projet
Alexandre Capelli, directeur du développement durable chez LVMH qui est devenu un de mes meilleurs amis. En deuxième année, à Saint-Martins, on fait un projet en groupe sur la thématique du développement durable que l’on présente à des spécialistes, dont Alexandre Capelli. Je voulais travailler sur les bandes magnétiques mais les autres ne le souhaitaient pas. Du coup, j’ai trouvé une occasion de montrer mon travail à Alexandre et il l’a beaucoup apprécié. Il m’a proposé de le présenter lors d’un show chez LVMH, qui m’a ouvert pas mal de portes. Son soutien est très important.
Le jour où porté par l’accueil positif de la première collection, vous avez ressenti une pleine confiance
Ce jour n’est pas près d’arriver ! (rires). Plus il y a de buzz autour de mon travail, plus j’ai peur de décevoir. Je ne suis pas quelqu’un de confiant, je remets toujours tout en question. Mais j’ai conscience de recevoir un très bel accueil et je mesure ma chance. En un an d’existence, le label Benjamin Benmoyal est entré dans le calendrier officiel de la Paris Fashion Week et dans le showroom de Sphère. C’est énorme et je suis très content. Mais j’ai toujours l’impression qu’il faut faire mieux, plus vite et aller plus loin !
La prochaine fois que vous ressentirez un élan de liberté, qu’en ferez-vous ?
J’ai une grande envie de reprendre la vie d’avant. Qu’on puisse enfin aller dans des bars, des restaurants, revoir nos amis sans ressentir la moindre crainte…Et que les touristes reviennent en masse en France pour acheter nos créations (rires). Ce jour-là, je soufflerai un bon coup.
© Dario Holtz
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