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Cédric Dordevic immortalise la mode des années 90

Cédric Dordevic

C’est une époque où les créateurs de mode se faisaient appeler couturiers et où les fêtes rivalisaient d’exubérance. De 1990 à 1998, le photographe Cédric Dordevic plonge dans les coulisses de la mode pour les magazines « Women’s Wear Daily » et « W ». De défilés en évènements festifs, il dresse un portrait tout en nuances de la vie parisienne. Sur la planète mode, il porte un regard sensible et décalé, dévoilant sous un autre jour mannequins en vue, créateurs visionnaires et éternels happy few. La Galerie Gutknecht à Paris, qui représente l’artiste, propose dans son catalogue ces précieux clichés d’un monde révolu. Rencontre avec un photographe qui a su déceler de l’intime dans le « show off ».

Par Inès Matsika

C’est la première fois que vous présentez votre travail de photographe de mode. Qu’est ce qui vous a poussé à le faire ?

J’ai précieusement gardé des négatifs qui sont la trace d’un travail effectué il y a presque 30 ans en me disant que j’en ferai peut-être quelque chose un jour. On m’a vivement conseillé de les exploiter car mon travail apparaît comme assez singulier par rapport au style photographique de l’époque.

Comment votre aventure dans la mode a-t-elle débuté ?

Totalement par hasard. La mode n’était pas mon sujet jusqu’à que je sois embauché à 22 ans par le bureau parisien des Editions Fairchild comme assistant photographe, puis comme photographe. Ces publications américaines de mode éditent le Women’s Wear Daily, le seul quotidien mondial sur la mode et le W magazine, deux sommités dans le domaine. Il a fallu être opérationnel tout de suite, la charge de travail était colossale. L’illustre John Fairchild, qui dirigeait les éditions, avait une grande exigence : il n’était pas question de ramener la même image que les autres. D’où l’intérêt à l’époque pour les magazines d’avoir des photographes salariés, ce qui a malheureusement pratiquement disparu aujourd’hui. C’était un gage d’indépendance et de grande créativité.

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Pavillon Ledoyen, Paris 1993

Azzedine AlaÏa, Chez Régine, Paris 1993

Yves Saint Laurent, Hôtel Intercontinental, Paris 1995

Linda Evangelista, Hôtel-Ritz Paris 1994

Parlez-nous de votre duo avec la rédactrice Natasha Fraser ?

 Natasha Fraser était une journaliste spécialisée dans les mondanités et les évènements. Je l’accompagnais partout. Elle connaissait parfaitement ce milieu de la mode. C’était une très belle femme, d’une grande assurance alors qu’à l’époque j’étais un jeune homme timide qui ne maîtrisait pas du tout les codes. On n’avait rien en commun !

Notre duo était assez improbable mais indestructible. Natasha entamait des discussions avec les célébrités ou les créateurs de mode, pendant que je les photographiais discrètement. Je me mettais sur le côté et j’attendais les bons moments à capturer. Ce procédé était idéal car il évitait les photos conventionnelles prises de face, publiées par tous les magazines. Les Editions Fairchild mettaient un point d’honneur à présenter des photos avec ce petit plus qui fait la différence.

 Ce sont les yeux des années 90. Ceux de Linda Evangelista, qui sont uniques. Cette femme, c’est avant tout des yeux

Vos premières photos de mode ont-elles été influencées par des photographes en particulier ?

Ma référence est Gisèle Freund, une fameuse portraitiste et reporter des années 30. Elle disait qu’il faut s’attacher à être un bon photographe. Elle se défendait d’être une artiste. Au même titre qu’un artisan, un boulanger ou un médecin, il faut bien faire son travail. Mon travail, c’est de la documentation. J’ai documenté un milieu, à une certaine époque.

Avec le recul, quel regard portez-vous sur l’esthétisme des photos réalisées à cette époque?

Je ne saurais pas vous dire. Ça dépasse l’esthétisme. Pour moi, le but de la photographie est de révéler l’homme à l’homme. Il y a un moment qui nous échappe, qui va plus vite que l’œil et que l’appareil arrive à capturer. Les photos que j’expose révèlent des rapports humains qui ont échappé aux papiers glacés. On décèle, chez ces personnalités de la mode perçues comme invincibles, une fragilité et de la tendresse.

Christy Turlington, les Bains

Jean Paul Gaultier, 1987

Comment analysez-vous le milieu de la mode des années 90 ?

Je suis ravie d’exposer des photos qui parlent de ces années. Les personnalités étaient fortes, les mannequins avaient une présence impressionnante. Ces gens avaient quelque chose à dire. Mes photos témoignent d’une période de transition dans la mode. Beaucoup de maisons de couture connaissaient des difficultés financières et menaçaient de fermer. La constitution de groupes de luxe par les industriels Bernard Arnault et François Pinault les ont sauvées. Ces hommes ont aussi apporté davantage de glamour aux défilés en y associant beaucoup de célébrités. Mes clichés parlent également d’un milieu décimé par le sida et qui masque sa peine en organisant des fêtes grandioses.

Quels sont les créateurs de cette décennie qui vous ont le plus marqué ?

Définitivement Azzedine Alaïa qui créait les tenues les plus désirables. La révolution Gaultier a aussi changé tous les codes. C’était extravagant et il s’est tout de suite attiré tous les éloges.

Quand avez-vous arrêté de photographier la mode et pourquoi ?

J’ai arrêté de documenter la mode en 1998 car j’avais l’impression d’en avoir fait le tour. J’avais envie de voyager. Je suis parti en Inde et j’ai participé au lancement du magazine Elle India.

Quels sont vos sujets de prédilection aujourd’hui ?

J’essaie de photographier les sentiments humains, les visages qui en racontent aussi long que des livres. De l’humain à 100%. La photographie est un prétexte pour être avec les autres.

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