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Christine Phung

Les premières fois de Christine Phung

Le débit est rapide mais le regard est doux. Quand Christine Phung évoque la mode, elle est tout de suite animée par une passion qui l’habite depuis l’enfance. Cette grande amoureuse du vêtement a répondu à son appel en travaillant au sein de maisons comme Chloé, Lacoste ou Christophe Lemaire, avant de lancer sa marque éponyme de 2011 à 2016. Cinq années durant lesquelles la créatrice franco-vietnamienne invente un vocabulaire qui fait résonner puissamment les mots « couleur», «imprimé » et « nature ». Très remarqué, son vestiaire organique lui vaut le prix de l’ANDAM en 2013 et une nomination en tant que directrice artistique de la maison Leonard, qu’elle pilotera en rafraîchissant ses codes, jusqu’en septembre 2020. Aujourd’hui, le livre événement Christine Phung retrace dix années de créativité en présentant le meilleur des défilés de son label et ceux orchestrés pour Leonard. L’occasion de rencontrer la créatrice chez elle à Vincennes, pour une inspirante plongée dans son passé. Sur la table de sa salle à manger, elle étale ses carnets de croquis, des échantillons de tissus et le livre, pour raconter de manière vivante, toutes les premières fois marquantes de son parcours.

Par Inès Matsika

Reportage photos : Dario Holtz

Christine Phung

Christine Phung © Dario Holtz

Christine Phung

© Dario Holtz

 Les premiers émois face à la mode. A quel âge, devant quoi, grâce à qui ?

J’ai reçu de mes parents une éducation et une culture assez classiques. Enfant, je me souviens d’avoir visité beaucoup de châteaux avec eux. A 10 ans, j’ai découvert celui de Vaux-le-Vicomte. Je suis tombée en arrêt devant des costumes que portaient certains membres de la cour du roi Louis XIV. Les vêtements, très structurés, dessinaient à la perfection les silhouettes. Il se dégageait d’eux quelque chose de vivant, comme s’ils étaient encore habités par des corps. J’ai été happée par la force du vêtement qui traverse les siècles.

Ma seconde émotion mode fut en 1998, devant un défilé Haute Couture de Jean Paul Gaultier qui se déroulait dans les sous-sols du musée du Louvre. J’ai été bouleversée par la rencontre de la tradition et de la modernité, parfaitement maîtrisée par l’ex « enfant terrible de la mode ». À peine âgée de 20 ans, je finissais mes études de stylisme. J’ai vécu ce défilé comme une grande leçon qui m’a plus tard influencée quand je me suis lancée dans le métier.

Le jour où vous avez choisi de vous former en tant que styliste. Quel fut le déclic ?

Il n’y en a pas vraiment eu car j’ai toujours su que je voulais faire ce métier ! C’était comme une vocation. Après un bac littéraire, j’ai fait une prépa aux Beaux-Arts et je suis entrée à l’école Duperré, en arts appliqués. La mode était la matière la plus généraliste qui permettait d’aborder différentes disciplines comme le graphisme, la communication ou la sculpture. J’ai adoré cette ouverture.

Lors de cette formation, j’ai nourri ma passion pour le textile et les imprimés. J’aime la force des motifs que j’assimile à une forme d’écriture mystérieuse. Je suis particulièrement touchée par les motifs constructivistes, qui font un clin d’œil à l’architecture, de l’artiste Sonia Delaunay ou des membres du mouvement Bauhaus.

Christine Phung

© Dario Holtz

Christine Phung

© Dario Holtz

Christine Phung
Christine Phung
Christine Phung

Les premières motivations pour monter votre label. Quelle proposition vestimentaire vouliez-vous défendre ?

Lancer Christine Phung était un passage obligé pour pousser jusqu’au bout l’exploration artistique. Après avoir fait mes armes dans de grandes maisons, je me sentais prête. Même si ma force est de comprendre les identités de marques et de m’y insérer complètement, j’avais besoin de savoir ce qu’il y avait dans mes tripes et de prendre le risque de parler en mon seul nom ! Le plus dur dans cette aventure fut d’assumer plusieurs casquettes. Etre créateur de mode, c’est aussi être comptable, manageur, livreur et communiquant ! Il n’y a pas que le côté glamour (rires).

Il a aussi fallu réunir les moyens pour tenir sur la longueur. Développer une marque est une véritable course de fond et le chemin est long pour y parvenir. Les succès phénoménaux de Jacquemus, d’Isabel Marant ou de Christophe Lemaire ne se sont pas construits en un jour !

La première fois que vous vous êtes sentie fière de votre travail de styliste. Quel est le plus beau compliment reçu et par qui ?

Celui de Didier Grumbach, l’ancien président de la Fédération du Prêt-à-porter, qui m’a complimentée sur la force de mon univers alors que je venais d’achever la première collection Christine Phung. Il est l’un des fondateurs de Designers apartment, un show-room de soutien aux jeunes créateurs que j’ai eu la chance d’intégrer.

Avoir le regard positif de ce grand monsieur de l’industrie de la mode posé sur mon travail m’a énormément donné confiance pour la suite. J’ai su que je ne me trompais pas en défendant une féminité « effortless », construite à partir de vêtements hybrides, à la fois confortables et sensuels. Comme l’illustre le teddy, une de mes pièces phares sans cesse revisité dans mes collections.

Christine Phung

© Dario Holtz

Christine Phung

© Dario Holtz

La première pensée que vous avez eue en apprenant que vous preniez la direction de la création de Leonard

J’ai été soufflée par leur décision et par la vitesse du recrutement qui s’est fait en huit jours ! J’ai adoré la fulgurance de la rencontre et le fait qu’ils me fassent ainsi confiance. Ce qui est formidable quand tu es directrice artistique, c’est que tu as le temps de faire le cœur de ton métier : à savoir, la création. J’ai pu totalement me concentrer dessus et déléguer les autres aspects du travail à des équipes très compétentes.

Le jour où vous avez plongé dans les archives de Leonard. Qu’avez-vous ressenti face à ce patrimoine ?

Un éblouissement total. Leonard a construit sa réputation sur la richesse de ses imprimés. Les archives de la maison, fondée en 1958, contiennent 5000 dessins, ce qui illustre bien leur importance. Il était donc naturel de continuer à les placer au cœur des collections. Mon obsession était de faire des choix pertinents d’imprimés, qui collent à l’époque, tant dans leur style que dans leur coloration. Le challenge était de leur apporter de la contemporanéité, notamment grâce à des coupes sportswear. Je devais en retenir cinq par collection. Et à chaque fois, mon défi était de m’imprégner de cet imposant patrimoine et de m’en détacher.
Je me suis amusée à le relever durant quatre ans et demi, puis l’arrivée de la crise sanitaire – qui a engendré chez moi un grand moment de réflexion – a sonné le glas de l’aventure. J’ai ressenti le besoin de me renouveler d’un point de vue créatif et de me frotter à d’autres codes. J’ai été repérée par une chasseuse de têtes pour un poste de directrice artistique image que j’occupe avec plaisir depuis septembre 2020.

Le jour où vous avez tenu dans vos mains pour la première fois le livre qui compile vos plus beaux défilés, pour votre label et pour Leonard. Qu’avez-vous ressenti ?

De la reconnaissance envers un objet qui va laisser une trace de mon travail. Et ça a une grande importance à mes yeux car la mode est éphémère ! J’ai eu la chance de réaliser ce livre dans les meilleures conditions possibles. J’ai collaboré avec le photographe Vincent Lappartient, la graphiste Agnès Dahan et Nathalie Dufour, la fondatrice de l’ANDAM m’a fait l’honneur de préfacer le livre. Il est le fruit d’un long travail d’archives de Vincent Lappartient qui a immortalisé tous mes défilés depuis dix ans. Les photos prises témoignent de l’adrénaline en coulisses, de la joie et de l’attitude des mannequins, des moments d’émotion…Ce sont 10 ans de créativité qui s’étalent sur ces pages. Je suis tellement fière d’avoir osé partager mon point de vue sur la mode.

Le jour où vous avez pris conscience des grandes mutations que connaît l’industrie de la mode. Qu’est-ce qui vous a le plus frappée ?

Le fait que la mode ne soit plus l’art de la coupe mais celui de la communication. Dorénavant, tout passe par l’image. Aussi, il n’est plus possible de baser un projet sur un joli concept. Sans les moyens de production et de financement, il est impossible de le développer. Il faut un business model solide, doublé d’un art de la communication.

Le jour où vous avez ressenti l’envie de relancer à nouveau un label…est-il déjà arrivé ?

J’y pense tous les jours. Mais je ne vois pas quel produit aurait encore du sens aujourd’hui. La crise sanitaire nous rappelle que ce métier ne peut se construire sur une violence sociale et environnementale. Je cherche le projet qui permette de respecter les hommes et la nature. Mais cela est très difficile dès que l’on produit à une grande échelle ! S’ajoute à cela mon désir de prendre du temps pour voir grandir mon enfant. Mener un label demande beaucoup de sacrifices personnels, notamment pour les femmes. Alors qu’aujourd’hui, il m’est essentiel de conserver un équilibre de vie et de m’épanouir aussi auprès des miens.

Livre Christine Phung, par Vincent Lappartient et Christine Phung, en vente sur christinephung.com 

Christine Phung

© Dario Holtz

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