À seulement 29 ans, Eva Gaumé est la tête pensante de la griffe d’optique et de solaire Emmanuelle Khanh. Avec la vision de la fondatrice vissée au cœur, la jeune directrice artistique réanime la marque mythique depuis cinq ans, en imaginant des montures audacieuses, festives et extravagantes. À l’occasion d’une capsule hybride avec le créateur Alphonse Maitrepierre, Eva Gaumé partage l’histoire qui la lie avec la maison historique et la manière dont elle continue de l’écrire.
Par Maÿlis Magon de la Villehuchet
Mon amour précoce pour les lunettes
« J’ai depuis toujours une passion pour les brocantes. J’y déniche des trésors et tout un tas de breloques. Les bijoux, les montres et les paires de lunettes font partie des pièces qui m’attirent le plus sur les étals. Ils sont les témoins manifestes d’une époque révolue qui imprègne encore la nôtre. Ce goût de l’objet m’a amenée à la Haute École d’Art et de Design de Genève. J’y ai découvert une dimension industrielle et technologique de la création, et c’est là où j’ai appris le craft, le fait-main. C’est une école qui forme davantage des designers que des artisans.
Au fil des workshops, l’objet particulier de la lunette s’est vite imposé à moi. J’aimais que cette pièce soit posée sur le visage, qu’elle encadre les yeux et que sa forme soit un marqueur de la personnalité de celui ou celle qui la porte. De plus, la matière de l’acétate est facile à travailler, à poncer et à polir, un peu comme le bois.
Durant mes études, j’ai rapidement assimilé que les lunettes sont des accessoires qui répondent à une défaillance physique en tout premier lieu. L’idée est de sublimer ce besoin médical. »
L’héritage d’Emmanuelle Khanh
« Diriger le style d’Emmanuelle Khanh est très symbolique pour moi ! J’ai effectué mon premier stage dans cette maison en 2013. A l’époque, tout me plaisait dans leur manière d’aborder les lunettes : les montures imposantes, la place laissée à la matière et à la couleur, la dimension spectacle conférée à cet accessoire. Elles étaient conçues comme de véritables pièces de défilés ! Il y avait cette idée du jeu, de proposer des modèles ludiques – que l’on peut changer au gré de ses humeurs – et qui apportent une touche finale à la tenue. On doit cette approche particulière de la lunette à Emmanuelle Khanh, la fondatrice de la maison – décédée en 2017, NDLR. En parallèle à sa ligne de prêt-à-porter, elle avait lancé en 1971 une collection de lunettes volumineuses, au design décalé. Un style avant-gardiste qui est toujours la signature de la marque aujourd’hui.
J’ai eu la chance de la rencontrer en 2016, à l’occasion d’une collaboration pour une réédition de maillots de bain – la créatrice avait mis fin à ses activités pour la marque en 1997, NDLR.
Emmanuelle Khanh avait une façon de travailler très généreuse, très positive par rapport aux corps féminins. Cette expérience m’a énormément marquée, tout en me liant personnellement à la marque. Elle a laissé un héritage auquel je suis sensible, entre les chaînettes caractéristiques, la déclinaison des couleurs et l’iconique carré oversize. Nous lui devons aussi les relations privilégiées que nous cultivons encore aujourd’hui avec nos artisans de l’Ain et du Jura. »
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Ma vision des lunettes Emmanuelle Khanh
« Quand je suis arrivée à la direction artistique chez Emmanuelle Khanh en 2016, il m’a paru important de restructurer la collection sans déclencher de rupture. J’ai choisi de travailler avec l’existant et de fabriquer des produits traits d’union, pour permettre à l’ensemble de vivre comme un tout.
Nous avons un partenariat avec des manufactures traditionnelles du bassin oyonnaxien dans l’Ain, spécialisées dans le savoir-faire de l’acétate et du celluloïd. Mes missions sont de trouver de nouveaux sourcings pour les verres, les acétates, et de développer de nouvelles couleurs et formes.
J’agis également sur l’image de marque. Je veux redonner leurs lettres de noblesse à cinquante années de création et retranscrire la vision libre d’Emmanuelle Khanh. Avec des artistes comme la réalisatrice Alice Kong et la joaillière Naomi Filmer, j’édite des images fortes, frontales, incarnées à travers de petites campagnes de communication. Je puise mon inspiration dans l’iconographie de mode d’une photographe comme Sheila Metzner, que j’admire pour son romantisme assumé. J’aime aussi le travail de Peter Knapp et de Guy Bourdin, fortement lié au thème de l’industrie. »
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La collection capsule avec Alphonse Maitrepierre
« La rencontre avec Alphonse Maitrepierre s’est faite très spontanément. Nous avons quasiment le même âge et nous partagions l’envie de créer quelque chose ensemble. Avec Alphonse, nous avons conjugué nos expertises pour créer une paire rétro-futuriste, fusionnant les objets de la lunette et du peigne. Pour cela, nous avons fait appel à un artisan lunettier et un fabricant de peigne traditionnel. Tout est fait à la main. Ces deux accessoires se rejoignent dans la pratique. Ils sont proches du corps, fonctionnels et esthétiques.
Le résultat de cette collaboration est un modèle radical aux branches crantées par les dents du peigne, écaillé de trois couleurs. Une sorte de masque couture, à la fois étrange et très évident, qui aurait pu être créé il y a trente ans, destiné aussi à être porté en défilé.
La collection sera vendue en exclusivité chez Marc Le Bihan, pour conserver cette idée d’avant-garde dans le secteur de l’optique.
Avec les lunettes Emmanuelle Khanh, on voit pour être vu, on veut dire quelque chose de soi. Nos clients ont l’amour du beau produit tout en ayant assez de cran pour conjuguer extravagance et classicisme. C’est précisément cette dualité qui rend la marque lisible et séduisante aux yeux du public »
En vente pour l’été 2021 sur www.ek.fr
