« Aujourd’hui, on est dans la réanimation de marques des plus absurdes ». Cette phrase mordante est celle du regretté Karl Lagerfeld. Une observation assez juste, qui pointe la renaissance à tout va de maisons anciennes, mais à laquelle déroge le renouveau pertinent de Lafont. Cette entreprise lyonnaise, spécialisée dans le vêtement utilitaire depuis 1844, est méconnue du grand public. Et pourtant ! On lui doit l’invention de la salopette et de bien d’autres pièces culte. Le designer Louis-Marie de Castelbajac répare cette injustice à travers la capsule « Lafont 1844 » qui revisite une quinzaine de modèles. À ces pièces à l’esthétique ouvrière, il apporte une touche de modernité et des détails techniques. Explications enthousiastes du créateur, ravi de mettre en lumière une maison presque bicentenaire.
Comment s’est produite la rencontre entre vous et Lafont ?
Il y a dix ans, aux Etats-Unis, j’ai eu un coup de cœur pour une veste Lafont trouvée par hasard dans une boutique. La découverte de cet objet a initié chez moi une réflexion. Je me suis demandé pourquoi les marques françaises, spécialistes du vêtement utilitaire, n’avaient pas la même aura que Levi’s. J’ai donc contacté Lafont afin de valoriser son histoire et son savoir-faire à travers une collection. Il a fallu quelques années, et un changement de direction à la tête de la maison, pour que le projet aboutisse.
Quel rapport entretenez-vous avec le vêtement utilitaire ?
ll fait partie de mes souvenirs d’enfance. Ma grand-mère avait une usine de confection de vêtements à Limoges. J’y ai passé beaucoup de temps à observer les ouvriers travailler dans leur uniforme, qui étaient à mes yeux comme une seconde peau. Aujourd’hui, le vêtement utilitaire est central dans mon dressing. J’aime les pièces à multiples poches. À l’image de la veste « Coltin » inventée par le fondateur de la maison, Adolphe Lafont. Elle fut portée par Jean Gabin dans le film « La bête humaine » de Renoir et par Pharell Williams dans le clip « Freedom ». J’ai pris plaisir à revisiter cette pièce mythique dans la capsule.
Quelles pépites avez-vous trouvées dans les archives de Lafont ?
C’était extraordinaire de plonger dans les archives de la plus ancienne maison de vêtements utilitaires au monde ! J’ai été fasciné par les matières, les coupes et les détails de ces vêtements historiques. Pour autant, je n’ai pas voulu faire une copie conforme du passé dans cette capsule.
J’ai, au contraire, souhaité renouer avec l’esprit novateur d’Adolphe Lafont. J’ai donc dessiné une collection rétro-futuriste en introduisant une pointe de technologie sur des modèles centenaires. J’ai, par exemple, paré certains vêtements de bandes réfléchissantes qui se voient dans la nuit. J’ai usé et abusé des poches – la signature du vêtement utilitaire – que l’on retrouve à l’extérieur des modèles mais aussi à des endroits cachés.
La capsule met en avant le savoir-faire historique de Lafont. Qu’est ce qui vous a le plus étonné dans leur expertise ?
Depuis 1844, cette maison n’a jamais cessé d’innover en matière de vêtements utilitaires. Elle est avant-gardiste au niveau de l’ergonomie et du « light and tuff », c’est à dire qu’elle conçoit des produits dans des matériaux à la fois légers, malléables et durables. La moleskine est la matière phare de Lafont. Dans la capsule, je l’ai travaillée de manière à la rendre plus confortable et soyeuse.
Plasticien, producteur d’armagnac, designer. Vous êtes un artiste protéiforme. Comment votre univers s’est-il exprimé dans cette capsule ?
Le fil rouge entre mes créations, quelle que soit leur forme d’expression, est la juxtaposition du passé et du présent. Pour Lafont, j’ai axé mes recherches sur le graphisme. L’usine historique de la maison étant à Villefranche-sur-Saône, j’ai trouvé de vieilles gravures de la région, datant de 1844, que j’ai revisitées sur des tee-shirts. Pour moi, cette collection est l’occasion de rendre justice au vêtement de travail dont on connaît peu l’histoire et qui n’a pas été célébré par le milieu de la mode comme un objet de valeur.
Vous présentez la collection dans une boutique éphémère située dans le quartier Vertbois à Paris. Pourquoi ce lieu ?
J’adhère aux idéaux défendus par le collectif Vertbois. Il agit pour dynamiser ce quartier, situé dans le Haut Marais de Paris, à travers des initiatives créatives. Il en fait un lieu d’échanges, de culture et de célébration des talents. Y présenter la collection en avant-première est tombé sous le sens. J’ai d’ailleurs pris plaisir à mettre en scène la boutique. Mon envie était de créer un espace hybride, entre la salle muséale dédiée à l’histoire de Lafont et un lieu célébrant le renouveau de la marque.
Cette capsule va-t-elle déboucher sur une collaboration pérenne avec Lafont ?
Oui, je prends la tête de la ligne « Lafont 1844 ». J’ai envie de continuer à faire vivre l’héritage de la marque, tout en ramenant de l’urbain et de la modernité dans les collections. Je suis heureux de donner un second souffle au vêtement utilitaire.
Votre père, Jean-Charles de Castelbajac, a pris récemment la direction artistique de Benetton, une marque qui a aussi une belle histoire. Quel regard portez-vous sur son premier défilé présenté à la Fashion Week de Milan ?
J’ai eu la chance d’y assister et ce fut un moment magique ! Pour moi, la rencontre entre mon père et cette maison est une évidence. Ils ont en commun l’amour de la couleur et abordent la mode de manière ludique, joyeuse et humaine. Une philosophie à laquelle j’adhère totalement.
Collection « Lafont 1844 by Louis-Marie de Castelbajac » présentée en avant-première jusqu’au 22 mars 2019 au 30 rue Vertbois, 75003 Paris. Disponible à la vente dès septembre 2019.